Hacker brillant, il s’est pourtant fait avoir comme un débutant. En quelques semaines, entre fin 2010 et début 2011, Aaron Swartz télécharge illégalement des millions d’articles scientifiques de l’éditeur JSTOR sur les bases de données du MIT (Massachussetts Institute of Technology).
Déjouant une à une les tentatives de JSTOR et du MIT pour lui barrer la route, Aaron Swartz se fait épingler lors d’une ultime bravade. Il ose et parvient à s’introduire au sein même des locaux techniques du MIT pour connecter un disque dur directement aux serveurs de l’institution.
La manœuvre est découverte mais le MIT laisse l’ordinateur pirate et cache… une caméra. Au bout de quelques jours, Aaron Swartz est filmé comme un voleur en train de récupérer son matériel. Le 6 janvier 2011, il est arrêté. Et c’est le début du calvaire.
Le documentaire de Brain Knappenberger Aaron Swartz, l’enfant d’Internet (The Internet’s own boy : the story of Aaron Swartz) retrace l’histoire de celui qui est devenu une véritable icône du Net, depuis ses jeux d’enfant avec ses deux frères sur les vidéos familiales à son suicide à 26 ans le 11 janvier 2013, dans son appartement de Brooklyn.
Ce film d’1h45, en partie financé par les internautes via Kickstarter, est disponible en ligne depuis juin dernier, en accès libre sur Archive.org en VO ou sur YouTube en VO sous-titrée en français. La moindre des choses quand il s’agit d’évoquer un militant d’un Internet libre, pour qui l’accès à la connaissance, aux idées, aux savoirs scientifiques devait être accessible sans entrave au plus grand nombre.
Car plus qu’un geek « bouffant du code » (bien qu’il en ait eu tous les attributs : le premier programme informatique qu’il développe est un quiz sur La guerre des étoiles et pour Halloween, il se déguise en ordinateur…), Aaron Swartz endosse rapidement la tenue de l’activiste animé par une « vision » de l’Internet.
Encore à l’école, il développe une encyclopédie participative, des années avant Wikipedia ; plus tard, il travaille avec Lawrence Lessig à la création des Creative Commons, les licences libres alternatives au droit d’auteur ; il invente les flux RSS ; il se lance dans une rocambolesque entreprise de téléchargement de textes juridiques fédéraux (censés, d’après la loi, être accessible à tout le monde) depuis des bibliothèques. Et il enrage contre les éditeurs scientifiques qui, selon lui, exploitent le travail des chercheurs. D’où l’opération au MIT.
Aaron Swartz n’avait « que » téléchargé des publications scientifiques. Il ne les a pas revendues, ne les a pas distribuées, n’a endommagé aucun systèmes informatiques pour y accéder et personne ne sait ce qu’il comptait faire de ces documents. JSTOR avait même annoncé abandonner les poursuites. L’affaire aurait dû en rester là. Mais le gouvernement a voulu faire un exemple.
Le film décrit alors comment la machine s’emballe, étouffant Swartz sous les chefs d’accusation (en vertu d’une loi créée en 1986 en réaction au célèbre film de cinéma WarGames !) pour le menacer de 35 ans de prison et un million de dollars d’amende, faisant pression sur ses proches, le plaçant sous surveillance du FBI.
Dans un autre registre, le documentaire est aussi passionnant quand il aborde les opérations de hacking de cet « enfant d’Internet. Il manque toutefois de contrepoints, à la notable exception du commentaire du Pr. Orin Kerr (le MIT et JSTOR ont été approchés, mais ont refusé de répondre).
Dommage, enfin, que les séquences finales versent dans un pathos un peu lourd. Reste cette phrase du chercheur en informatique Christopher Soghoian, résumant la stature de cet « enfant » sacrifié : « Je n’avais jamais eu l’occasion de voir des gens pleurer sur Twitter ».